Mesdames et Messieurs les représentants du peuple,
La liste de vos noms ayant circulé à travers les réseaux sociaux, permettez-moi de vous écrire, pour vous faire part de deux sentiments qui m'ont traversée et qui sont, sans doute, partagés par bien des Tunisiens.
Le premier est un intense soulagement, dû au fait que vous ayez été si peu nombreux et que l'article soit passé, malgré votre opposition. Ce soir, les femmes tunisiennes (et certains hommes... ) peuvent être fières d'un acquis qui va au-delà de la Constitution de 1959 et qui, par sa formulation, laisse le champ libre à des amendements, visant à améliorer le texte. Désormais, la parité hommes-femmes est requise pour toute assemblée élue, tout comme l'égalité des chances, des droits et des devoirs entre les genres. Un paragraphe stipule aussi que l'Etat s'engage à soutenir et développer les droits des femmes, tout comme à lutter contre la violence exercée à leur encontre. Vous conviendrez, mesdames et messieurs les députés, que la femme tunisienne perpétue et renforce son statut d'être libre et autonome ainsi que son égalité avec l'homme et qu'elle n'est plus, au moins dans les textes, prisonnière de son genre biologique.
Parmi votre groupe, une majorité d'hommes et quatre femmes. Pour les députés de sexe masculin, leur vote exprime l'opinion d'une frange d'hommes tunisiens ; elle indique à quel point le chemin reste long pour que certaines aversions masculines à l'égard du droit des femmes puissent être effacées, au moins en partie.
Mais mon second sentiment est un étonnement à l'égard des quatre députées femmes ayant voté contre l'article 45. Certes, la liberté de penser est un acquis de notre Constitution et chaque député est libre de sa voix. Mais je ne peux m'empêcher de m'interroger sur vous, mesdames. Pensez-vous que votre « non » reflète les opinions de celles qui vous ont élues ? Avez-vous, en votre âme et conscience, rempli votre rôle de représentantes du peuple ? De plus, si toute décision est déterminée par une tendance de l'être, et des convictions personnelles, alors il faut convenir que les vôtres de conviction se sont, par ce vote, opposées à votre genre. Votre «non» indique que vous êtes pour le suivisme féminin, les femmes étant, selon vous, celles auxquelles sont dévolus les seconds rôles, celles qui se servent en dernier (à table ou aux élections) après que les mâles, seuls maîtres à bord après Dieu, aient prélevé les meilleurs morceaux. Pourquoi vous assignez-vous une si petite place ? Est-ce la force de la coutume ? Mais la coutume a, tout de même, changé depuis l'adoption du Code du statut personnel. Pourquoi faites-vous si peu cas de votre stature d'être humain, ce que vous êtes avant d'appartenir au genre féminin ? Pourquoi vous déconsidérez-vous à ce point? La féminité est-elle pour vous, à jamais, un lieu de suivisme et de renonciation à soi ? On ne vit qu'une fois, mesdames, et le devoir le plus élémentaire à l'égard de soi-même en tant qu'être pensant (... ) est d'accomplir, du mieux que l'on peut, toutes ses potentialités. Qu'avez-vous donc fait des vôtres ? Etouffées, muselées, oubliées ; seules demeurent l'obéissance et la démission. Mais, encore une fois, si vous vous oubliez en tant que femmes que vous refusez d'exister, pourquoi conférer le même sort à vos filles ? Demain, verriez-vous d'un bon œil qu'à compétences supérieures votre fille soit devancée par un homme, lors d'un concours de recrutement ? Accepteriez-vous qu'elle soit moins payée que son collègue masculin, que des tribunaux la malmènent, que son mari la batte, un soir où il rentre de mauvaise humeur ? Si votre être de femme ne vous importe pas, votre statut de mère aurait dû réagir. Ce vote que vous vous êtes refusé, vous auriez pu l'offrir à vos filles...
Mais si cela peut vous réconforter, le chemin est loin d'être achevé. A l'appui de votre cause, si la femme est l'égale de l'homme devant la loi, elle est loin d'être son égale dans le texte même des lois. De plus, l'égalité demeure imparfaite : l'homme, votre seigneur et maître, est toujours privilégié en matière d'héritage. Tout n'est donc pas perdu, mesdames, vous pouvez respirer !
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