L'Association tunisienne des femmes démocrates dresse un tribunal fictif, en attendant les vrais procès
Dans une salle archicomble de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, devant une assemblée majoritairement féminine, Mbarka Mahfoudh, intimidée, mais digne, susurre ces quelques mots : «40 ans après, c'est toujours difficile pour moi d'en parler », et continue de raconter son histoire devant un auditoire attentif.
«Cela s'est passé au début des années 1970, quand s'opposer à la politique de Bourguiba ou critiquer son pouvoir, réclamer les droits et les libertés les plus élémentaires, étaient dangereux». Pour avoir appartenu à un mouvement politique clandestin, Mbarka a été arrêtée en 1972 et accusée de complot contre la sûreté de l'Etat. «J'ai su ce qu'était la torture. J'ai subi les coups, la violence verbale. On me mettait nue, on me menaçait, on m'empêchait de dormir. J'ai vécu les sept jours de torture comme un viol», dit-elle.
Sa santé ne cesse de se détériorer pendant les six mois qui ont suivi son calvaire. La direction de la prison refusait de lui prodiguer des soins. Avec ses compagnes, Mbarka décide alors d'entamer une grève de la faim. «Douze jours après, on m'a isolée. J'ai continué la grève. On m'a finalement transportée à l'hôpital, où j'ai passé 17 jours», ajoute-t-elle d'une voix étranglée.
Aujourd'hui, Mbarka demande que ses bourreaux soient punis, jugés, et que justice soit faite.
Le tribunal fictif, composé de huit juges (juristes, artistes, militant-e-s activistes des droits humains et journalistes), n'a pas de pouvoir coercitif, et il ne prononcera pas de jugement. «Il a été organisé pour briser le mur du silence», précise Neila Zoghlami, membre du bureau de l'Atfd et chercheure en sociologie. S'il est une première en Tunisie, d'autres pays arabes y ont déjà eu recours. « Le tribunal fictif permet d'éveiller les consciences, de dévoiler des faits. Il est notamment utile pour encourager les victimes à parler de leur peine et avoir recours à la justice», affirme Asma Khedher, avocate jordanienne.
Justice transitionnelle
«On a arrêté Lazhar sous prétexte qu'il préparait un coup d'Etat. Après l'avoir tué, on l'a emmené dans un endroit qui ne nous a jamais été révélé. On m'a laissée seule, avec mes peines. Aucun gouvernement ne s'est penché sur mon cas, ni ne m'a aidée », témoigne Taous Chraïti, la femme de
Lazhar Chraïti.
«Mon père a combattu en Palestine et a eu l'insigne d'honneur. Bourguiba l'a contacté pour revenir en Tunisie. Quand il est rentré, il a commencé dès 1950 à organiser la lutte armée contre le colonisateur. Il a été à la tête de 3.000 hommes. Ils avaient réussi à déstabiliser le gouvernement français et amener la France à la table des négociations pour obtenir l'indépendance du pays», raconte Rebeh, sa fille.
Quand le père a disparu, ses deux femmes, Viviane (Samia) et Taous et les sept enfants se sont retrouvés sans ressources. Tous les biens avaient été saisis.
« Je ne demande qu'une seule chose aujourd'hui, qu'on me rende la dépouille de mon mari, pour que ses enfants puissent se recueillir sur sa tombe », dit la vieille femme en pleurs, devant un auditoire ému aux larmes.
«J'ai espoir en la justice transitionnelle qui va nous permettre de recouvrer nos droits», a déclaré Rebeh, qui a fondé une association du nom de son père, le Centre méditerranéen Lazhar Chraïti, pour réhabiliter sa mémoire.
D'autres femmes victimes de violence, directe ou indirecte, du temps de Bourguiba, Ben Ali ou même après la révolution, ont témoigné de leur malheur au tribunal fictif. Beaucoup d'entre elles espèrent obtenir réparation avec la justice transitionnelle.
Pour Ahlem Belhaj, militante pour la cause féminine et ancienne présidente de l'Atfd, le combat n'est pas gagné d'avance. «Avec tout ce qui s'est passé concernant les archives, les réformes à la va-vite, les indemnités, etc., et surtout le retard de trois ans au niveau de la justice transitionnelle, ça ne se présente pas bien, mais rien n'est impossible», estime-t-elle. Le 14 décembre, soit près d'une année après en avoir reçu le projet, l'Assemblée nationale constituante adopte la loi sur la justice transitionnelle. « Le texte comporte plusieurs points négatifs, notamment celui relatif à la méthode de constitution de l'Instance de la vérité et de la dignité. On aura les mêmes problèmes rencontrés avec l'instance chargée des élections. D'autre part, nous avons demandé que le principe de parité soit inscrit, malheureusement ça n'a pas été respecté», explique la militante.
Pas de justice, pas de paix
Asma Khedher a fait partie de la commission d'enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme commises lors de la révolution libyenne en 2011. On lui a rapporté plusieurs cas de violations des droits humains à l'encontre de femmes, mais très peu ont été vérifiés. «Les femmes n'étaient pas libres de parler pour des raisons sociétales, culturelles et familiales. Les traditions stigmatisent les femmes victimes de violence. Pour elles, il valait donc mieux garder le silence, afin de préserver leur intégrité et leur honneur», indique Asma Khedher.
Selon la secrétaire générale de la Commission nationale de la femme jordanienne, les femmes, contraintes au silence, ne trouvent jamais la paix : «Beaucoup de ces jeunes femmes libyennes se sont suicidées. Le ministre de la Santé libyen nous a informés que le pourcentage de suicide des jeunes à Tripoli a été multiplié par trois après la révolution. Il y a eu aussi des cas de divorce de femmes violées, ainsi que de nombreux cas d'avortement. Des témoins nous ont rapporté également un fait choquant. Des filles ont été tuées par leurs proches pour être protégées du viol».
Pour l'avocate, il faut que la justice transitionnelle prenne en considération les besoins spécifiques des femmes afin qu'elles puissent en profiter. «Il faut mettre en confiance ces femmes, savoir les écouter, leur garantir que leurs témoignages seront confidentiels, sans quoi, il leur sera difficile de profiter un jour de la justice transitionnelle», conclut-elle.
Dans une salle archicomble de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, devant une assemblée majoritairement féminine, Mbarka Mahfoudh, intimidée, mais digne, susurre ces quelques mots : «40 ans après, c'est toujours difficile pour moi d'en parler », et continue de raconter son histoire devant un auditoire attentif.
«Cela s'est passé au début des années 1970, quand s'opposer à la politique de Bourguiba ou critiquer son pouvoir, réclamer les droits et les libertés les plus élémentaires, étaient dangereux». Pour avoir appartenu à un mouvement politique clandestin, Mbarka a été arrêtée en 1972 et accusée de complot contre la sûreté de l'Etat. «J'ai su ce qu'était la torture. J'ai subi les coups, la violence verbale. On me mettait nue, on me menaçait, on m'empêchait de dormir. J'ai vécu les sept jours de torture comme un viol», dit-elle.
Sa santé ne cesse de se détériorer pendant les six mois qui ont suivi son calvaire. La direction de la prison refusait de lui prodiguer des soins. Avec ses compagnes, Mbarka décide alors d'entamer une grève de la faim. «Douze jours après, on m'a isolée. J'ai continué la grève. On m'a finalement transportée à l'hôpital, où j'ai passé 17 jours», ajoute-t-elle d'une voix étranglée.
Aujourd'hui, Mbarka demande que ses bourreaux soient punis, jugés, et que justice soit faite.
Le tribunal fictif, composé de huit juges (juristes, artistes, militant-e-s activistes des droits humains et journalistes), n'a pas de pouvoir coercitif, et il ne prononcera pas de jugement. «Il a été organisé pour briser le mur du silence», précise Neila Zoghlami, membre du bureau de l'Atfd et chercheure en sociologie. S'il est une première en Tunisie, d'autres pays arabes y ont déjà eu recours. « Le tribunal fictif permet d'éveiller les consciences, de dévoiler des faits. Il est notamment utile pour encourager les victimes à parler de leur peine et avoir recours à la justice», affirme Asma Khedher, avocate jordanienne.
Justice transitionnelle
«On a arrêté Lazhar sous prétexte qu'il préparait un coup d'Etat. Après l'avoir tué, on l'a emmené dans un endroit qui ne nous a jamais été révélé. On m'a laissée seule, avec mes peines. Aucun gouvernement ne s'est penché sur mon cas, ni ne m'a aidée », témoigne Taous Chraïti, la femme de
Lazhar Chraïti.
«Mon père a combattu en Palestine et a eu l'insigne d'honneur. Bourguiba l'a contacté pour revenir en Tunisie. Quand il est rentré, il a commencé dès 1950 à organiser la lutte armée contre le colonisateur. Il a été à la tête de 3.000 hommes. Ils avaient réussi à déstabiliser le gouvernement français et amener la France à la table des négociations pour obtenir l'indépendance du pays», raconte Rebeh, sa fille.
Quand le père a disparu, ses deux femmes, Viviane (Samia) et Taous et les sept enfants se sont retrouvés sans ressources. Tous les biens avaient été saisis.
« Je ne demande qu'une seule chose aujourd'hui, qu'on me rende la dépouille de mon mari, pour que ses enfants puissent se recueillir sur sa tombe », dit la vieille femme en pleurs, devant un auditoire ému aux larmes.
«J'ai espoir en la justice transitionnelle qui va nous permettre de recouvrer nos droits», a déclaré Rebeh, qui a fondé une association du nom de son père, le Centre méditerranéen Lazhar Chraïti, pour réhabiliter sa mémoire.
D'autres femmes victimes de violence, directe ou indirecte, du temps de Bourguiba, Ben Ali ou même après la révolution, ont témoigné de leur malheur au tribunal fictif. Beaucoup d'entre elles espèrent obtenir réparation avec la justice transitionnelle.
Pour Ahlem Belhaj, militante pour la cause féminine et ancienne présidente de l'Atfd, le combat n'est pas gagné d'avance. «Avec tout ce qui s'est passé concernant les archives, les réformes à la va-vite, les indemnités, etc., et surtout le retard de trois ans au niveau de la justice transitionnelle, ça ne se présente pas bien, mais rien n'est impossible», estime-t-elle. Le 14 décembre, soit près d'une année après en avoir reçu le projet, l'Assemblée nationale constituante adopte la loi sur la justice transitionnelle. « Le texte comporte plusieurs points négatifs, notamment celui relatif à la méthode de constitution de l'Instance de la vérité et de la dignité. On aura les mêmes problèmes rencontrés avec l'instance chargée des élections. D'autre part, nous avons demandé que le principe de parité soit inscrit, malheureusement ça n'a pas été respecté», explique la militante.
Pas de justice, pas de paix
Asma Khedher a fait partie de la commission d'enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme commises lors de la révolution libyenne en 2011. On lui a rapporté plusieurs cas de violations des droits humains à l'encontre de femmes, mais très peu ont été vérifiés. «Les femmes n'étaient pas libres de parler pour des raisons sociétales, culturelles et familiales. Les traditions stigmatisent les femmes victimes de violence. Pour elles, il valait donc mieux garder le silence, afin de préserver leur intégrité et leur honneur», indique Asma Khedher.
Selon la secrétaire générale de la Commission nationale de la femme jordanienne, les femmes, contraintes au silence, ne trouvent jamais la paix : «Beaucoup de ces jeunes femmes libyennes se sont suicidées. Le ministre de la Santé libyen nous a informés que le pourcentage de suicide des jeunes à Tripoli a été multiplié par trois après la révolution. Il y a eu aussi des cas de divorce de femmes violées, ainsi que de nombreux cas d'avortement. Des témoins nous ont rapporté également un fait choquant. Des filles ont été tuées par leurs proches pour être protégées du viol».
Pour l'avocate, il faut que la justice transitionnelle prenne en considération les besoins spécifiques des femmes afin qu'elles puissent en profiter. «Il faut mettre en confiance ces femmes, savoir les écouter, leur garantir que leurs témoignages seront confidentiels, sans quoi, il leur sera difficile de profiter un jour de la justice transitionnelle», conclut-elle.
Aucun Commentaire sur " Femmes victimes de violence politique - Que justice soit faite ! "