La soirée d’ouverture des Journées cinématographiques de Carthage a laissé un
goût amer, entre organisation chaotique et manque d’audace.
Le documentaire « Dégage, le peuple veut » de Mohamed Zran a cependant réussi à convaincre le public.
LES FILMS EN COMPÉTITION À CARTHAGE
La compétition officielle de ces JCC – qui veulent marquer un « retour aux principes fondateurs » du festival – comprend le dernier film de Nouri Bouzid, « Beautés cachées ». Une évocation des nouveaux interdits de la société tunisienne qui lui a valu d’être sacré meilleur réalisateur arabe au festival d’Abu Dhabi en octobre. Le cinéaste tunisien, connu pour son combat pour la laïcité, a été agressé au printemps 2011 sur le campus d’al-Manar. Figurent également le dernier film de l’Algérien Marzak Allouache, « Le Repenti », et celui de Nabil Ayouch, « Les chevaux de Dieu », qui affronte les questions de l’islam politique et s’attache au parcours d’un kamikaze.
Mais la catégorie la plus attendue est peut-être celle des courts-métrages. Ainsi Sawssen Saya et Tarak Khalladi, co-auteurs du film « Bousculade, 9 avril 1938″ sur les prostituées qui ont participé aux événements symboliques de la lutte pour l’indépendance tunisienne. Le film de 15 minutes, dont aucune image n’a encore été diffusée, fait déjà scandale dans la presse islamiste.
Bousculades interminables pour entrer dans le cinéma Le Colisée vendredi soir, à quelques minutes de la cérémonie d’ouverture des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), point de rassemblement du cinéma africain et arabe depuis 1966. Un festival populaire qui n’a pas le budget des festivals d’Abu Dhabi ou du Caire, mais qui présente les grands noms et les nouveaux venus du cinéma d’art et d’essai africain et arabe et se déroule dans treize petites salles de projection de Tunis. Tous les habitants de la capitale peuvent venir voir les longs-métrages en compétition pour le Tanit d’or. Et surtout la catégorie des courts-métrages, là où s’exprime la jeune génération.
Organisation chaotique
Ces premières JCC depuis la révolution – le festival se déroule tous les deux ans – s’ouvrent dans un contexte où la chute de Ben Ali n’est plus qu’un lointain souvenir et où la réalité est celle des tensions avec les islamistes. En montant les marches pour se rendre au Colisée, le ministre de la culture Mehdi Mabrouk est hué à son arrivée. Ses dernières déclarations sur « la révolution iranienne, source d’inspiration pour le peuple tunisien » a entaché davantage encore sa réputation, déjà mise à mal par le procès intenté à deux artistes après les incidents au Printemps des arts, à la Marsa, en juin dernier.
Après le chahut de la rue, où une manifestation de solidarité avec les Palestiniens éclate, il y a l’attente que quelque chose se produise. Un souffle de cinéma. Des discours marquants. Mais la soirée d’ouverture a cherché son tempo bon an mal an, au gré d’un hymne national version opéra, du discours sur la « jeunesse éprise de liberté, de justice et de dignité » (Mohamed Médiouni, président du festival), de la minute de silence en solidarité avec la bande de Gaza, ou encore d’un défilé de musique malienne.
L’étincelle jaillit d’un lapsus. La langue de la présentatrice de la soirée fourche en parlant du 7e art. C’est le 7 novembre qui lui vient immédiatement à la bouche, date anniversaire de l’accession de Ben Ali au pouvoir. Les moqueries fusent.
« On se méfie de la récupération »
La soirée a été sauvée par le documentaire projeté en ouverture du festival, « Dégage, le peuple veut », du Tunisien Mohamed Zran. Le cinéma joue alors son rôle : celui de raviver l’émotion qui avait explosé au temps de la révolution, mais que l’on sentait enfouie, refoulée par un public au départ plutôt sceptique. « On n’en peut plus d’entendre parler de révolution, on se méfie de la récupération », souffle une jeune cinéaste de 26 ans.
Applaudissements nourris en entendant, dans le documentaire, des critiques cinglantes contre les humiliations et le racket exercés par la police de Ben Ali et l’affirmation par les manifestants d’être « tous experts, disciples de Socrate, égaux entre homme et femme ». Rires quand un jeune de Sidi Bouzid évoque les « 30 bouteilles de bière » écoulées avec ses amis dans un terrain vague pour oublier la misère.
En entendant les témoignages recueillis par le documentaire, le public oubliait le temps de la projection les divisions des intellectuels et les pressions exercées depuis plusieurs mois sur les artistes par le gouvernement d’Ennahda – le ministère la Justice a instruit le procès de deux artistes plasticiens, Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama -, les salafistes ont perturbé à plusieurs reprises des manifestations culturelles.
La réalité de la politique actuelle rattrape cependant les discours dès la sortie de la salle : « On va vers un mur, vers un nouveau totalitarisme théocratique, alors que ces gens-là [les islamistes, ndlr] étaient absents de la révolution , se lamente Mohamed Zran, interrogé après la projection. Ils se permettent d’agresser les intellectuels. On va vers le néant ».
« Quelques-uns mènent une action qui ne ressemble pas à la Tunisie », tranche Mohamed Médiouni. « Ce sont des épiphénomènes qui ne vont pas rester », ajoute-t-il plus optimiste. « Les JCC sont un lieu de création alternative », assure le directeur du festival, qui voudrait réaffirmer l’indépendance du festival vis-à-vis de toutes pressions : « Le ministère n’est pas intervenu dans la sélection ».
Le documentaire « Dégage, le peuple veut » de Mohamed Zran a cependant réussi à convaincre le public.
LES FILMS EN COMPÉTITION À CARTHAGE
La compétition officielle de ces JCC – qui veulent marquer un « retour aux principes fondateurs » du festival – comprend le dernier film de Nouri Bouzid, « Beautés cachées ». Une évocation des nouveaux interdits de la société tunisienne qui lui a valu d’être sacré meilleur réalisateur arabe au festival d’Abu Dhabi en octobre. Le cinéaste tunisien, connu pour son combat pour la laïcité, a été agressé au printemps 2011 sur le campus d’al-Manar. Figurent également le dernier film de l’Algérien Marzak Allouache, « Le Repenti », et celui de Nabil Ayouch, « Les chevaux de Dieu », qui affronte les questions de l’islam politique et s’attache au parcours d’un kamikaze.
Mais la catégorie la plus attendue est peut-être celle des courts-métrages. Ainsi Sawssen Saya et Tarak Khalladi, co-auteurs du film « Bousculade, 9 avril 1938″ sur les prostituées qui ont participé aux événements symboliques de la lutte pour l’indépendance tunisienne. Le film de 15 minutes, dont aucune image n’a encore été diffusée, fait déjà scandale dans la presse islamiste.
Bousculades interminables pour entrer dans le cinéma Le Colisée vendredi soir, à quelques minutes de la cérémonie d’ouverture des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), point de rassemblement du cinéma africain et arabe depuis 1966. Un festival populaire qui n’a pas le budget des festivals d’Abu Dhabi ou du Caire, mais qui présente les grands noms et les nouveaux venus du cinéma d’art et d’essai africain et arabe et se déroule dans treize petites salles de projection de Tunis. Tous les habitants de la capitale peuvent venir voir les longs-métrages en compétition pour le Tanit d’or. Et surtout la catégorie des courts-métrages, là où s’exprime la jeune génération.
Organisation chaotique
Ces premières JCC depuis la révolution – le festival se déroule tous les deux ans – s’ouvrent dans un contexte où la chute de Ben Ali n’est plus qu’un lointain souvenir et où la réalité est celle des tensions avec les islamistes. En montant les marches pour se rendre au Colisée, le ministre de la culture Mehdi Mabrouk est hué à son arrivée. Ses dernières déclarations sur « la révolution iranienne, source d’inspiration pour le peuple tunisien » a entaché davantage encore sa réputation, déjà mise à mal par le procès intenté à deux artistes après les incidents au Printemps des arts, à la Marsa, en juin dernier.
Après le chahut de la rue, où une manifestation de solidarité avec les Palestiniens éclate, il y a l’attente que quelque chose se produise. Un souffle de cinéma. Des discours marquants. Mais la soirée d’ouverture a cherché son tempo bon an mal an, au gré d’un hymne national version opéra, du discours sur la « jeunesse éprise de liberté, de justice et de dignité » (Mohamed Médiouni, président du festival), de la minute de silence en solidarité avec la bande de Gaza, ou encore d’un défilé de musique malienne.
L’étincelle jaillit d’un lapsus. La langue de la présentatrice de la soirée fourche en parlant du 7e art. C’est le 7 novembre qui lui vient immédiatement à la bouche, date anniversaire de l’accession de Ben Ali au pouvoir. Les moqueries fusent.
« On se méfie de la récupération »
La soirée a été sauvée par le documentaire projeté en ouverture du festival, « Dégage, le peuple veut », du Tunisien Mohamed Zran. Le cinéma joue alors son rôle : celui de raviver l’émotion qui avait explosé au temps de la révolution, mais que l’on sentait enfouie, refoulée par un public au départ plutôt sceptique. « On n’en peut plus d’entendre parler de révolution, on se méfie de la récupération », souffle une jeune cinéaste de 26 ans.
Applaudissements nourris en entendant, dans le documentaire, des critiques cinglantes contre les humiliations et le racket exercés par la police de Ben Ali et l’affirmation par les manifestants d’être « tous experts, disciples de Socrate, égaux entre homme et femme ». Rires quand un jeune de Sidi Bouzid évoque les « 30 bouteilles de bière » écoulées avec ses amis dans un terrain vague pour oublier la misère.
En entendant les témoignages recueillis par le documentaire, le public oubliait le temps de la projection les divisions des intellectuels et les pressions exercées depuis plusieurs mois sur les artistes par le gouvernement d’Ennahda – le ministère la Justice a instruit le procès de deux artistes plasticiens, Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama -, les salafistes ont perturbé à plusieurs reprises des manifestations culturelles.
La réalité de la politique actuelle rattrape cependant les discours dès la sortie de la salle : « On va vers un mur, vers un nouveau totalitarisme théocratique, alors que ces gens-là [les islamistes, ndlr] étaient absents de la révolution , se lamente Mohamed Zran, interrogé après la projection. Ils se permettent d’agresser les intellectuels. On va vers le néant ».
« Quelques-uns mènent une action qui ne ressemble pas à la Tunisie », tranche Mohamed Médiouni. « Ce sont des épiphénomènes qui ne vont pas rester », ajoute-t-il plus optimiste. « Les JCC sont un lieu de création alternative », assure le directeur du festival, qui voudrait réaffirmer l’indépendance du festival vis-à-vis de toutes pressions : « Le ministère n’est pas intervenu dans la sélection ».
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